(2/3) Effondrement, l’urgence de prendre le temps. Réflexions et pistes d’actions.

Cet article est le second d’une série de trois. Il traite des pistes d’actions envisageables face au constat dressé dans le premier article (Prendre acte de l’effondrement). Le dernier traitera quant à lui des possibilités (même infimes) de créer un sursaut global. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec la notion d’effondrement, vous trouverez toute une série de ressources pour creuser la question à la fin du premier article (en lien ci-dessus).

Arrêtez tout, c’est l’heure de s’engager


Bref sommaire.
En guise d’introduction : un constat sur les faits.
Suit un développement sur les 3 pistes d’actions que j’explore :
1. La conscience : diffuser et alerter pour prendre collectivement acte de l’urgence.
2. La résistance : stopper les destructions en cours pour préserver ce qui peut l’être.
3. La résilience : construire des avenirs (les plus) souhaitables et soutenables.


La transition sera choisie ou elle sera subie

Nous sommes de plus en plus nombreux.ses à l’avoir compris : nous choisirons de changer de modèle de société et de mode vie ou nous en changerons par la force des choses, dans la souffrance et sans garantie de survie pour l’humanité et le reste du vivant.

Une partie du constat pourrait être résumée de la manière suivante :

  • la majeur partie de la population des pays occidentaux et dans une moindre mesure du reste du monde est encore quasi-entièrement dépendante du système industriel pour répondre à ses besoins.
  • C’est ce même système (déjà responsable de désastre écologique et humain insoutenable dans de nombreux pays) qui nous mène dans l’impasse. Nous devons donc réussir à l’arrêter le plus rapidement possible au risque que d’ici quelques années les conditions de vie sur Terre ne soient plus propices à accueillir l’humanité et une très grande partie du (sur)vivant (celui que nous n’avons pas encore exterminé).
  • Ce système va quoi qu’il en soit s’effondrer de lui-même dans les années qui arrivent (avant la fin du siècle).
  • Si nous attendons qu’il s’effondre sans rien faire nous ne survivrons pas.
  • Ceux qui ne se seront pas organisés pour répondre à leurs besoins n’auront rapidement plus de quoi manger. 
  • Et si nous n’arrivons pas à arrêter la course folle dans laquelle nous sommes lancés, même ceux qui se seront organisés pour répondre à leurs besoins n’auront (pour une grande partie d’entre eux) plus les conditions extérieures propices pour continuer. Tout au plus ils survivront quelques années après les premiers.
  • Nous nous devons donc d’agir ! Prendre collectivement conscience de l’ampleur et de l’urgence. Stopper la machine infernale et développer notre résilience collective.

La bonne nouvelle dans tout ça c’est que la vie que je vois se dessiner avec cette voie, en plus d’être la meilleure chose à faire face à ce qui arrive, me semble receler une part de joie.

Se rencontrer à nouveau, travailler ensemble, apprendre, s’épauler, prendre soin des personnes âgées et des enfants, accueillir ceux qui en ont besoin.. « en vivant simplement pour que chacun puisse simplement vivre. »

Je le sens. Je commence à le voir. Je commence à le vivre. Nous pourrions bâtir un avenir meilleur et affronter ensemble et avec courage les tempêtes qui sont là. Nous n’éviterons certainement pas la douleur mais en s’entraidant et en s’aimant, nous pouvons trouver le courage.

Pour que mes futurs enfants, les enfants du monde et leurs enfants après eux, puissent passer comme ceux avant nous, un instant sur cette magnifique Terre.

Alors aujourd’hui à la suite de Greta Thunberg (une suédoise de 15 ans connue maintenant dans le monde entier suite à la grève scolaire qu’elle a entamé et ses prises de parole franche et vive face aux dirigeants du monde) je vous dis  : « Nous sommes venu.es ici pour vous faire savoir que le changement arrive ».

« En 2078, je célèbrerai mes 75 ans. Si j’ai des enfants peut être qu’ils passeront ce jour avec moi. Peut-être qu’ils me demanderont à propos de vous. Peut-être qu’ils me demanderont pourquoi vous n’avez rien fait quand il y avait encore du temps pour agir.

Jusqu’à ce que vous commenciez à vous concentrer sur ce qui doit être fait à la place de ce qu’il est politiquement possible de faire, il n’y a pas d’espoir. […] Si les solutions au sein de ce système sont si impossibles à trouver, alors nous devons changer de système. Nous ne sommes pas venu.es ici pour supplier nos dirigeants de s’en soucier. […] Vous êtes à court d’excuses et nous sommes à court de temps. Nous sommes venu.es ici pour vous faire savoir que le changement arrive que vous le vouliez ou non. Le vrai pouvoir appartient au peuple. »

2. Trois pistes pour l’avenir.
Conscience, résistance et résilience.

Je suis persuadé que les trois pistes que j’explore ici sont nécessaires à un niveau collectif toutes les trois en même temps (à titre individuel certains choisissent de mettre l’accent sur une et/ou l’autre). L’ordre que j’ai choisi pour les présenter n’a donc pas grande importance. Je commencerai tout de même par la partie sur la conscience car elle est bien souvent le déclencheur des suivantes.
Je dis bien souvent car c’est aussi par l’action que nous affinons notre conscience. Comprendre pour agir et agir pour comprendre. Les deux marchent ensemble.


2.1 La conscience : diffuser et alerter pour prendre collectivement acte de l’urgence.

Comme je le disais en introduction, nous sommes de plus en plus nombreux.ses à avoir saisi la gravité de ce qui se joue ici. Et pendant que nous affinons notre compréhension du monde et de l’effondrement possible une part de plus en plus importante de la population s’éveille à ces questions.

Nous sommes passé.es de quelques marginaux il y a quelques années à une minorité plus récemment. Et aujourd’hui le message semble se propager de jour en jour toujours plus vite. En témoignent les nombreux articles sur l’effondrement parus dans des médias de grande diffusion ces deux dernières années, les différentes marches pour le climat dans le monde ou encore l’intensification des mouvements de luttes pour la justice climatique et la naissance de plus en plus d’initiatives locales.

Malheureusement nous voyons dans le même temps arriver au pouvoir des dirigeants dont certains reconnaissent à peine le changement climatique jusqu’à des climatosceptiques assumés. Cela nous montre que nous devons continuer à nous battre pour faire reconnaitre l’urgence d’agir que nous assène la science : nous faisons face à l’extinction possible de l’humanité. Rien de moins.


Et même si pour certains, nous voyons poindre dans les discours des semblants de prise de conscience, les actes sont encore loin d’être à la hauteur. Comme l’a suggéré Pablo Servigne dans une récente interview et comme nous l’a montré la COP24, « savoir ne suffit pas », savoir ne suffit plus.

« Savoir ne suffit pas. Les responsables politiques qui discutent des chiffres climatiques lors des COP, ont lu les rapports des experts. Ils savent. Mais ils n’y croient pas, comme si la tête savait mais que le coeur s’y refusait. Les connaissances doivent percuter le corps, les tripes, pour prendre toute leur dimension et pour qu’on puisse y croire. Le philosophe australien Clive Hamilton est celui qui m’a le plus décomplexé à ce sujet. Dans son livre Requiem pour l’espèce humaine, il décrit parfaitement comment il a « émotionnellement (accepté) ce que cela signifiait

vraiment pour l’avenir du monde » et s’est senti « soulagé d’admettre enfin ce que (son) esprit rationnel n’avait cessé de (lui) dire ». Il ne s’agit pas d’une prise de conscience. C’est une prise d’émotion. Une fois qu’on l’a ressentie, plus rien n’est pareil. »

Interview de Pablo Servigne – 17/12/2018 – Télérama : “Croire en des catastrophes irréversibles n’empêche pas d’agir »

Alors nous devons intensifier la diffusion du message, le rendre sensible et tangible dans nos vies. En parler à nos proches, organiser des projections, des conférences, aller en parler à nos mairies et leur demander ce qu’elle compte faire, envoyer des lettres à nos députés, défiler dans les rues, aller dans les écoles, aller voir les médias… Et puis commencer à l’incarner aussi, chacun à sa propre manière. Je crois que c’est une des meilleures manières d’impacter les gens autour de nous.

Enfin il ne s’agit pas seulement de poser l’effondrement probable de notre société au milieu d’une conversion, il nous faut aussi apprendre à s’accompagner, être attentif aux autres, à ce qu’ils traversent.
J’ai exploré plus avant cette question dans le premier article de cette série.

Bien évidemment, nous nous rendons vite compte qu’avoir conscience ne suffit plus. Il faut que ceux qui ont compris commencent à agir. Et il faut le faire de manière massive : stopper les destructions en cours et développer notre résilience collective.

2.2 La résistance : stopper les destructions en cours pour préserver ce qui peut l’être.

Les trajectoires sont claires. Si nous brûlons tout le pétrole et le charbon des gisements et mines déjà en exploitation nous allons vers un monde invivable (et cet exemple bien que suffisant en soi n’est malheureusement qu’un parmi d’autres) ! Il est donc urgent d’arrêter cette machine infernale le plus rapidement possible. Et nous ne pouvons ni compter sur les multinationales pour s’arrêter d’elles-mêmes ni sur les États pour les y forcer (qui restent dans leur quasi-totalité empêtrés dans des logiques de croissance). Face à ce constat il devient évident que nous avons besoin de construire un rapport de force suffisant pour contraindre industries et États. Nous avons besoin qu’une partie suffisante de la population s’engage. Plus précisément, nous avons besoin qu’au moins 3,5% de la population s’engage. 

Erica Chenoweth et Maria J. Stephan (l’une est chercheuse en violence politique et résistance citoyenne, l’autre est une experte des mouvements de désobéissance civile) ont étudié les mouvements civils de lutte non-violente et en sont arrivées à cette conclusion surprenante : il suffit de mobiliser 3,5% d’une population pour qu’une résistance non violente ait gain de cause.

[…] En fait, soutient Érica Chenoweth, aucune campagne n’a échoué une fois la participation active et soutenue de seulement 3,5 % de la population – et beaucoup d’entre elles ont réussi avec beaucoup moins que cela. Bien sûr, 3,5% de la population demande une mobilisation qui reste importante.

4 septembre 2018 – Dans un article de Laurie Debove pour La relève et la peste

À titre informatif : 3,5% des Français = 2,4 millions de personnes

La question devient donc : comment construire un mouvement rassemblant 2,4 millions de personnes (avec une participation active et soutenue) qui créeront le rapport de force suffisant pour engager la société dans une voie radicalement différente de celle que nous suivons aujourd’hui ?

La non-violence (contre les personnes) apparait je crois comme un facteur déterminant pour rassembler autant de monde. Après avoir compilé et étudié les campagnes de résistance civile non violente entre 1900 et 2006, les deux chercheuses Erica Chenoweth et Maria J. Stephan ont constaté que :

Chaque mouvement citoyen rassemblant plus de 3,5% de la population était construit autour d’une stratégie de lutte non violente. Les individus participant à des campagnes non violentes étaient en moyenne quatre fois plus nombreux que ceux participant à une lutte violente. Ces participants étaient souvent beaucoup plus représentatifs en termes de sexe, d’âge, de race, de parti politique, de classe et de distinctions urbain-rural.


4 septembre 2018 – Dans un article de Laurie Debove pour La relève et la peste

Et non moins important, les régimes qui émergent après une lutte non-violente sont beaucoup plus démocratiques et ce de manière durable que ceux qui émergent d’une lutte violente.[1]

Alors concrètement ça peut donner quoi une lutte non-violente ?

Je crois qu’il est (entre autre) nécessaire de rejoindre et d’organiser des actions de désobéissance civile, de lutter contre les « grands projets inutiles », d’organiser des actions ciblées contre des multinationales, de bloquer des infrastructures, bref de s’ancrer dans le réel, dans nos vies, sur nos territoires. Et puis même si les contextes sont toujours différents regarder ce qui se fait ailleurs, ce qui a marché, ce qui n’a pas marché et pourquoi.

Mais plus que tout commencer à s’engager. Se rendre compte que c’est possible. Reprendre notre pouvoir. Et construire cela collectivement.

Je me suis pour ma part engagé depuis 2015 sur diverses actions aux côtés de différents mouvements : Anv-Cop21 avec des actions en faveur de la justice climatique, Les Désobéissants avec des actions contre un des plus grands salons de l’armement au monde qui a lieu à Paris tous les deux ans,  Ende-Gelande avec le blocage de la plus grande mine de charbon à ciel ouvert d’Europe où nous étions plus de 6000 activistes venu.es de toute l’Europe fin octobre 2018…
Et dernièrement je m’engage aux côtés d’Extinction Rebellion. Un mouvement international parti d’Angleterre cet automne et qui essaime très rapidement dans le monde (déjà plus de 35 pays en décembre). Partant du constat que les gouvernements ont échoué à agir pour préserver les conditions nécessaires à la survie d’une grande partie de sa population le mouvement appelle à entrer en rébellion. Plus d’une centaine d’intellectuels anglais ont signé une lettre appelant à rejoindre le mouvement dans The Guardian.[2] Ils ont été depuis rejoints par un nombre croissant de personnalités de par le monde.

Les demandes du mouvement français entrain de se constituer sont les suivantes :

  1. Les gouvernement, élus, institutions, médias, entreprises, citoyens… doivent reconnaitre la gravité et l’urgence des crises écologiques actuelles, et adopter une politique de transition radicale et cohérente.
  2. Des mesures doivent être prises immédiatement pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre afin atteindre la neutralité carbone en 2025 grâce à une descente énergétique planifiée.
  3. La biodiversité doit être protégée et respectée pour mettre fin à la 6ème extinction de masse. Dans cette logique, nous exigeons l’arrêt de la destruction des écosystèmes océaniques et terrestres.
  4. Une assemblée citoyenne doit être créée. Elle sera chargée de décider des mesures à mettre en place pour atteindre ces objectifs et la garante d’une transition juste et équitable.

Pour s’organiser le mouvement se veut automne et décentralisé. En France nous sommes déjà un nombre important au niveau national à s’organiser et de plus en plus de groupes locaux voient le jour. Nous avons 3 mois et demi pour se structurer avant une semaine d’actions internationale à la mi-avril.
Si vous voulez nous rejoindre c’est par ici :

En attendant je continue de soutenir les nombreux mouvements déjà implantés et les actions qu’ils ont engagé. Voir par exemple cet interview de Jon Palais pour comprendre d’où vient Anv-cop21 et les différentes campagnes qu’ils ont mené jusque là.

Si vous voulez vous former à la désobéissance civile plusieurs mouvements dans ceux cités plus haut organisent régulièrement des formations. Vous pouvez voir par exemple les prochaines formations d’Anv-Cop21 ici ou celles des Désobéissants par là.

Et sachez qu’il est possible d’aider de plein de manières différentes sans nécessairement participer directement aux actions. Vous pouvez aider en rejoignant des groupes de soutien aux personnes arrêtées, en mettant vos talents artistiques aux services des mouvements pour la création de visuel (banderoles, vidéos, etc.), en participants aux structures juridiques, en aidant sur les aspects logistiques (ravitaillement, déplacement, etc.), en diffusant les actions, en organisant des collectes de fonds, etc. Bref, même si vous ne voulez pas être « en première ligne », vous trouverez toujours comment aider. Face à l’urgence et à l’ampleur des mobilisations que nous devons construire, nous avons besoin de toutes les bonnes volontés.

Récemment, lors d’une action pour bloquer la plus grande mine de charbon à ciel ouvert d’Europe[3] à laquelle j’ai pris part nous étions plusieurs à discuter : si nous arrivons à bloquer plus de 4 jours le transport du charbon de la mine à la centrale électrique celle-ci s’arrêterait (je dis bien si car normalement l’armée interviendra avant). Qu’adviendrait-il alors des populations qui dépendent de cette électricité en locale ? Des hôpitaux ? etc. 

Rapidement nous nous rendons compte que si nous voulons pouvoir stopper les destructions (et c’est urgent) en engendrant un minimum de souffrance, il est nécessaire de bâtir en même temps et le plus rapidement possible ce qui nous permet de nous passer de ces industries et du monde qu’elles incarnent. Il est nécessaire de vivre différemment dès aujourd’hui. Explorons donc maintenant comment construire notre résilience collective.


2.3 La résilience : construire des avenirs (les plus) souhaitables et soutenables

J’utiliserai dans cette partie le terme de résilience entendu comme notre capacité à maintenir localement et de manière soutenable les fonctions vitales de nos sociétés malgré les chocs et les dérèglements. Ou dit autrement, c’est notre capacité à nous adapter à un contexte changeant en impactant le moins possible les possibilités de vie pour les futures générations et le reste du vivant. Bien que les aspects mis en avant ici sont principalement d’ordre matérialiste, il me semble intéressant de penser aussi notre résilience intérieure qui rejoint notamment la partie sur la conscience, j’y reviendrai plus loin.

Pour commencer, je pense que la résilience se construit sur 3 échelons en interaction permanente :

  • L’échelon individuel : ce que je peux faire seul.e
  • L’échelon collectif local : ce que je ne peux/veux pas faire seul.e et que j’organise avec les gens que je connais
  • L’échelon général : ce que je ne peux pas faire en local avec les gens que je connais

Bien évidemment, plus les échelons sont grands (loin de nous) plus il est difficile de les faire avancer (de s’organiser). C’est pour ça qu’il ne faut pas attendre de voir les très grands ensembles (géographiques et politiques) se mobiliser pour engager des actions. S’il me semble nécessaire de travailler sur les 3 échelons en même temps, je reste persuadé que c’est en grande partie en s’organisant petit à petit à partir de la base que les échelons supérieurs bougeront. Parce qu’il y aura en même temps une pression plus importante (un nouveau rapport de force) et une alternative concrète sur laquelle s’appuyer (ce qui a déjà été fait en local).

Ce que nous tentons donc de construire ici ce sont des manières de répondre à nos besoins qui soient de moins en moins dépendantes du système thermo-industriel non soutenable. Il s’agit de développer rapidement et massivement des compétences pour se nourrir, se loger, se chauffer, se soigner… et il s’agit de mettre en pratique ces compétences le plus localement possible et avec le moins d’énergie possible. Bien évidement je ne parle pas ici d’autarcie individuelle (dont la résilience me semble plus que douteuse) mais bien du développement de notre autonomie collective et d’une autonomie construite avec un principe de subsidiarité.[4]

Pour illustrer cela par un exemple voyons comment la production de la nourriture pourrait s’organiser avec les 3 échelons d’actions évoqués plus haut :

  • Échelon individuel : en ultra-locale et de manière décentralisée on peut produire des légumes, des fruits, faire de la micro-transformation, etc.
  • Échelon collectif local : à plusieurs il devient plus facile de semer et récolter des grandes cultures -blés, orges, seigles, tournesols, etc.- (nécessitant plus de main d’œuvre en agriculture non-mécanisée), on peut construire des espaces de stockage, des projets d’irrigation, des lieux de transformation mutualisés (moulin, pressoir, stérilisateur, séchoir, …), une « grainothèque » conséquente et diversifiée, etc.
  • Échelon général : avec des grands groupes qui entretiennent des liens, il devient possible d’organiser entre localités des formes de solidarité alimentaire en cas de mauvaises récoltes dans l’une ou plusieurs d’entre elles, des réseaux de recherche permacole, de la gestion d’infrastructures comme des réseaux de transport, des unités de production d’outillage, etc.

Bien que ce ne soit là qu’un exemple incomplet et dont il faudrait sans doute revoir beaucoup de choses c’est ce type de démarche que j’essaie de construire. Voir ce qu’il est pertinent de faire et à quelle échelle. Créer du lien avec d’autres et commencer à s’organiser. Mais comment donc définir ce qu’il est pertinent de faire ? Comment évaluer ce qui est résilient ? Ou du moins ce qui est plus résilient que ce que nous faisons aujourd’hui et comment aller vers cela. En abordant cette question d’un point de vue systémique avec quelques autres personnes nous nous sommes rapidement rendu compte de l’immense complexité qu’elle recouvre. Nous avons donc décidé d’organiser un groupe de recherche afin de développer un Indice(s) de résilience. Pour ce faire nous faisons appel, entre autre, au concept de “science post-normale” : une stratégie de résolution des problèmes scientifiques à laquelle on peut recourir lorsque “les faits sont incertains, les valeurs sont polémiques, les enjeux sont importants et les décisions sont urgentes.”[5]

Nous commençons avec ce travail à rassembler des outils/grilles de lecture qui permettent, à travers une démarche de co-construction d’ensemble de critères, de confronter son avis sur la résilience :

  • de techniques de réponse à des besoins (exemple : se chauffer avec un poêle rocket).
  • de communauté humaine (voir par exemple les indicateurs choisis dans le Transition Network)

Pour vous donner une idée plus précise voici quelques exemples de critères que nous essayons de croiser sur l’indice concernant les techniques : utilité/dépense énergétique, substituabilité de la source d’énergie, nombre d’étapes (de transformation de l’énergie) nécessaires avant l’utilisation finale (réponse au(x) besoin(s)), énergie grise du système, renouvelabilité de la source d’énergie, rendement exergétique (taux de récupération de l’énergie potentiellement utilisable), renouvelabilité des ressources utilisées, disponibilité de ces ressources, taux de réemploie des matériaux utilisés (à la construction puis en fin de vie), robustesse (durabilité), réparabilité, nombre d’outils nécessaires et possibilité de construction/réparation de ces outils, accessibilité technique, difficulté d’apprentissage, disponibilité des connaissances nécessaires, etc.

Dans tous les cas, cette démarche est et me semble devoir rester principalement une invitation à développer notre discernement et notre intuition sur les « meilleurs » choix à faire dans un contexte d’effondrement. Et cela en ouvrant la discussion sur nos démarches (expérimentations) et réflexions (recherches) respectives. Ce projet est un commun fait par et pour les gens. Il n’attend que vos bonnes énergies et votre temps pour avancer. Pour en savoir plus rendez vous sur la documentation centrale de l’Indice(s) de résilience.

Mais bien évidemment, l’orientation la plus importante et la plus fondamentale que nous devons prendre est celle de la frugalité. Si nous ne partons pas de là, cet Indice(s) ne servira à rien. Et encore une fois, il ne faut pas attendre que cet Indice voit le jour pour engager une transition. Au mieux il aidera quelques personnes et groupes à éviter de reproduire les mêmes erreurs que d’autres.

Maintenant que nous commençons à avoir une boussole pour s’orienter il reste à tracer les itinéraires possibles. Et pour cette étape il me semble nécessaire de prévoir en même temps une transition douce (dans le temps et avec du temps) et des ruptures brutales. En effet il est bien difficile de savoir comment vont se dérouler les années qui arrivent et si nous n’allons pas faire face bien plus rapidement que nous le pensions initialement à des catastrophes d’une ampleur majeure. Certaines populations de par le monde font déjà face aujourd’hui à des phénomènes d’effondrement et il devient évident que nous devons prévoir comment faire face à des ruptures rapides. Il apparait primordial de développer une culture d’entraide. Que ceux qui sont aujourd’hui privilégiés tendent la main à ceux qui en ont besoin. Que nous apprenions à nouveau à accueillir. Car ce que nous connaissons aujourd’hui n’est qu’un avant goût des crises migratoires de demain. L’ONU prévoit entre 250 millions et 1 milliard de réfugiés à l’horizon 2050.[6]

Mais revenons maintenant aux itinéraires possibles.
Ici chacun doit trouver sa propre voie. Chaque situation amènera des réponses différentes. Il faut commencer par regarder d’où l’on part et à partir de là, voir où l’on souhaite aller. Comment est-ce possible et quelles sont les étapes pour y parvenir. Étant donné qu’il devient nécessaire dans cette partie de s’ancrer dans un contexte particulier pour avancer je vais parler de mon propre itinéraire. Je suis parti du constat un peu avant la fin de mes études que je ne savais vraiment pas faire grand chose de mes mains. Je réfléchissais beaucoup mais j’avais peu d’activités manuelles. Et même si j’avais commencé par exemple à me rapprocher de producteurs en gérant une AMAP étudiante depuis ma première année, j’étais très loin de savoir comment me nourrir, me loger, me chauffer, me déplacer, m’habiller, etc. Sans tout le système industriel et tout ce qui va avec du point de vue social et environnemental je ne pouvais pas survivre. Sacré paradoxe lorsque l’on sait que c’est tout ce que j’essayais de combattre à travers mes engagements associatifs de l’époque. Alors nous avons décidé avec ma compagne de nous mettre en quête des savoir-faire et être dont nous avions besoin pour vivre pleinement notre vie sans détruire celle des autres et les possibilités futures. Avec comme trame de fond la frugalité nous nous sommes lancés dans la construction d’une mini-maison en bois la plus autonome possible sur un châssis de véhicule (un Ford de 1983). L’idée était que nous allions forcément devoir apprendre beaucoup de choses pour la construction et qu’ensuite nous serions déjà libérés d’une bonne partie de nos dépenses de l’époque (loyer, chauffage, …). Ainsi nous aurions beaucoup plus de temps à consacrer à apprendre et transmettre plutôt qu’à aller chercher de l’argent. Et pour apprendre nous pouvions grâce à notre maison itinérante partir à la rencontre de dizaines de lieux de vie où des personnes ont choisi de vivre différemment, d’essayer autre chose. En passant entre 1 et 3 mois par lieu, nous prenons le temps de rencontrer, de s’imprégner, de tisser des liens et d’aller voir un peu plus en profondeur. Aujourd’hui, chaque fois que nous apprenons quelque chose, nous essayons de le transmettre par des ateliers et de la documentation. Voilà les trois mots de notre quotidien de troubadour : vivre (apprendre et expérimenter), transmettre (former et documenter) et relier (faire grandir les réseaux). N’hésitez pas à aller jeter un œil sur notre site internet pour découvrir ce que nous faisons.

Pour se lancer nous avons travaillé une saison d’hiver pour payer la construction de notre mini-maison. Depuis que nous y vivons nous dépensons chaque mois un peu moins (en 2018 environ 300€/mois/personne). Ce faisant, nous transférons toujours un peu plus de notre temps, de notre énergie et de notre argent d’un système qui détruit notre avenir commun à un système qui le préserve (même si l’opposition n’est dans les faits pas aussi simpliste). Malgré tout j’utilise encore du pétrole (déjà beaucoup moins : 275L pour 2 de manière directe en 2018). Une question apparaît ici, celle des priorités et des quantités, je m’explique. En effet, est-ce que pour développer mon autonomie et qui plus est, diffuser des pratiques autour de moi, je m’autorise à utiliser des appareils et des sources d’énergies qui ne rentre pas dans ma démarche et en quelle quantité ? Un exemple (autre que l’essence pour donner une idée de l’ampleur de la problématique) est l’ordinateur depuis lequel j’écris et l’infrastructure nécessaire pour faire tourner internet dont la consommation d’énergie et de ressources croit de manière exponentielle.. Est-il plus intéressant d’écrire cet article et de le diffuser en terme d’impact que d’arrêter aujourd’hui mon ordinateur ? Ce sont là des questions dont je ne prétends pas avoir de réponse absolue, je cherche à faire au mieux en fonction de mes connaissances et de mes moyens actuels. Difficile d’avoir une réponse tranchée. Chaque décision est un arbitrage entre de multiple facteurs et chacun doit trouver sa réponse. Ce qui est sûr en revanche c’est que mon ordinateur ne durera pas 1000 ans et qu’il va falloir dans tous les cas apprendre à s’en passer. Aujourd’hui un peu mieux qu’hier et demain un peu mieux qu’aujourd’hui. En attendant je choisis de vous partager ici mes pensées en espérant que cela puisse nous servir à construire ce déclin dont nous ignorons tant. Concernant donc l’essence et toutes les autres choses que nous ne pouvons pas faire directement (ni écologiquement d’ailleurs comme tout ce qui est high-tech), notre politique c’est de se poser ces deux questions : est-ce que j’en ai vraiment besoin (priorité) ? et si oui comment en limiter les usages (quantité) ?

Pour reprendre maintenant les 3 échelons évoqués plus haut appliqués à ce que je fais :

  • À titre individuel j’apprends autant que je peux et je développe mon autonomie. Cela me libère petit à petit du temps pour transmettre mes connaissances (en participation libre).
  • Je fais tout ça en lien permanent avec l’échelon collectif local partout où je passe. Je lance d’ailleurs depuis quelques temps un projet d’accompagnement des collectivités locales vers des territoires résilients (nous sommes aujourd’hui plusieurs personnes à travailler là-dessus et nous commençons à être en lien avec plusieurs communes).
  • Et je travaille avec d’autres à faire bouger les grandes structures et dans le même temps à s’organiser collectivement pour nous en passer. Comme par exemple avec le projet de protocole pour construire des consensus à grande échelle que j’ai commencé à rédiger.

Voilà une introduction donc de ce que j’entends par développer notre résilience collective (matériel). Reste à survoler ce que nous pouvons faire pour développer notre résilience intérieure. Dans son livre « L’effondrement : petit guide de résilience en temps de crise » Carolyn Baker, psychothérapeute, propose une liste de 10 techniques pour mieux gérer le stress de la découverte de l’effondrement, en voici quelques unes (le point 2 en italique a été ajouté par Loïc Steffan) :

  1. « Comprenez que la civilisation industrielle est intrinsèquement traumatisante. Énumérez les blessures qu’elle a infligées à vous et à vos proches. Acceptez que l’effondrement vous parle de la mort.
  2. Remerciez avec gratitude la vie pour ce qu’elle vous offre et réapprenez à vous émerveiller à chaque instant des choses les plus simples. Remerciez aussi pour les petites blessures de la vie qui vous permettent de vous sentir vivant et vous apprennent sur votre propre fin, votre propre fragilité et votre propre mort inéluctable.
  3. Familiarisez-vous avec votre répertoire émotionnel, comment vous vivez, ou pas, vos émotions. Imaginez le type d’émotions que vous et vos proches ressentiriez dans un monde qui se désagrège. Imaginez comment vous réagiriez à ces émotions. Comment préféreriez-vous y faire face ?
  4. Réfléchissez à la façon de prendre soin de vous en ce moment dans un monde de plus en plus stressant. Quels stress devez-vous éviter ? Quelles activités épanouissantes devez-vous ajouter ?
  5. Qui compose votre réseau de soutien ? Si vous n’avez personne avec qui parler du chaos actuel et à venir, vous doublez votre stress. Trouvez des gens avec qui vous pourrez régulièrement discuter de ces sujets.
  6. Comment créez-vous de la joie dans votre vie et autour de vous ? Y a-t-il des lieux et des moments dans votre vie où vous pouvez avoir du plaisir sans dépenser d’argent ou sans parler de vos préparatifs pour l’avenir ?
  7. Passez autant de temps que possible dans la nature. Lisez des livres et des articles sur l’écopsychologie ou sur la philosophie, la spiritualité ou la psychologie. Faites des balades contemplatives et dialoguez intentionnellement avec la nature.
  8. Au moins une fois par jour (deux idéalement), respirez et adonnez-vous à une pratique de méditation, d’écoute intérieure, de prière, d’écriture d’un journal personnel ou la visualisation guidée. »

Alors maintenant :

Prenons acte de l’urgence
Organisons la résistance
Développons notre résilience

La suite bientôt !

Sources et précisions

  • [1] Voir la vidéo de Erica
  • [2] « Facts about our ecological crisis are incontrovertible. We must take action » – The Guardian
  • [3] https://www.ende-gelaende.org/fr/
  • [4] La subsidiarité c’est l’idée selon laquelle chaque action doit être fait à la plus petite échelle possible (le plus proche des personnes concernées) et que c’est seulement si une action excède le niveau de compétence d’une échelle qu’elle passe au « niveau » supérieur. Et je pense pour ma part que cette subsidiarité doit être construite de manière ascendante. On parle de subsidiarité ascendante lorsque c’est les échelons « inférieurs » qui décident quand attribuer leurs pouvoirs à une entité plus vaste (à l’inverse de la subsidiarité descendante bâti sur l’idée que c’est à la plus grande entité de décider quand déléguer le pouvoir à de plus petits échelons). Voir Principe de subsidiarité sur wikipédia.
  • [5] S.O. Funtowicz et J.R. Ravetz, “Uncertainty, complexity and post normal science”, Environnemental Toxicology and Chemistry, vol. 13, n°12, 1994, p.882, cité dans “Une autre fin du monde est possible” – P. Servigne, R. Stevens, G. Chapelle
  • [6] Chiffres retenus par l’Organisation Internationale des Migrations des Nations Unies à propos des réfugiés climatiques.

Article publié sous les termes de la licence CC-BY-SA-NC 3.0

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