(1/3) Effondrement, l’urgence de prendre le temps. Réflexions et pistes d’actions.

[Courbes issues du rapport Meadows – The limits to growth]

Cet article est le premier d’une série de trois. Il introduit la problématique, dessine des chemins pour y faire face intérieurement et s’accompagner mutuellement. Le suivant traitera des pistes d’actions envisageables face à ce constat. Le dernier des possibilités (même infimes) de créer un sursaut global. Pour ceux qui ne sont pas familier avec la notion d’effondrement vous trouverez toute une série de ressources pour creuser la question à la fin de cet article.

Prendre acte de l’effondrement

1.1 Le monde s’effondre, bienvenue dans l’anthropocène.

Plusieurs décennies se sont écoulées déjà depuis les premiers appels des scientifiques[1]. Malgré cela, la trajectoire globale de la société demeure inchangée voire accélère vers le gouffre. Les émissions de gaz à effets de serre continuent d’augmenter à l’échelle du globe. Les océans se vident et s’acidifient. Les calottes polaires fondent à une vitesse sans précédent entrainant des changements globaux dans les courants océaniques. La déforestation continue. Les écosystèmes s’épuisent. Les espèces disparaissent à un rythme sans précédent. Les ressources minières et énergétiques se tarissent. La finance a largement pris le pas sur l’économie réelle entrainant des crises de plus en plus importantes. Les inégalités se creusent. Les multinationales sont de plus en plus puissantes et orientent les politiques mondiales vers toujours plus de dérégulations facilitant la destruction des écosystèmes et le délitement des liens sociaux. Le repli sur soi gagne du terrain un peu partout, le fascisme monte et des murs sont érigés à nouveau dans de nombreux pays.
Malheureusement la liste est encore longue et les facteurs semblent se renforcer l’un l’autre. L’effondrement de la société apparaît de plus en plus inévitable. [Pour creuser la question voir les ressources en fin de première partie]

1.2 Tout est lié

Depuis quelques années maintenant les possibilités d’un effondrement global de la société thermo-industrielle commencent à émerger dans le grand public et les médias mainstream. Face à ce constat de plus en plus de personnes prennent conscience de la portée systémique de ce à quoi nous sommes confrontés (le fait que ces problèmes sont intrinsèquement liés). Et aujourd’hui, nombreux sont ceux qui, dans la communauté scientifique et dans la population, commencent à anticiper d’éventuels chocs (pour ceux qui ne subissent pas déjà de profondes crises) en développant plus de résilience localement, tissant des liens d’entraide, diffusant leurs connaissances, etc.

1.3 Face à la douleur, le courage.

Lorsque je parle d’effondrement, on me reproche souvent d’être trop « pessimiste ». Je répondrais avec ces quelques mots que j’ai lu récemment dans un article de Reporterre : « à rebours de la positive attitude, de l’injonction de livrer à chacun sa dose de bonnes nouvelles, de plus en plus d’auteurs et de praticiens le disent : le contraire de l’espoir n’est pas le désespoir, mais la douleur. Et face à elle, on trouve le courage, qui peut se définir selon Kate Marvel comme la détermination à faire bien, sans certitude de victoire. Comme une réponse à tous ceux qui craignent que la vérité ne démobilise les énergies militantes. »[2] Ou avec un peu plus d’humour tiré d’Une autre fin du monde est possible : « Quant au collapsologue [personne qui étudie l’effondrement], il ne voit jamais le verre à moitié vide ou à moitié plein, il le voit entièrement plein : à moitié d’eau et à moitié d’air… et surtout bien fissuré ! »[3]

1.4 La courbe de deuil

Alors que faire ? Pour commencer prendre un temps pour sentir ce qu’il se passe en nous, là maintenant, à la lecture de ces lignes. Et souffler. Pleurer peut être.

Où en sommes nous personnellement avec ces questions ? Certains parlent d’un deuil à faire. D’une succession d’étapes à traverser. Dans lesquelles nous naviguons sans cesse d’avant en arrière. Voici une image qui met en lumière ces étapes. Elle peut nous aider à voir le chemin qu’il nous reste à parcourir.

[La courbe de deuil – Tatoudi – CC BY SA]

1.5 Cinq étapes de conscience

Et puis comment comprendre où en sont les autres dans la compréhension de l’effondrement ? Comment s’accompagner dans ce chemin, le partager avec d’autres ?

Le Canadien Paul Chefurka a proposé une « échelle de conscience »[4] pour comprendre de manière simplifiée là où chacun se situe :

« Lorsqu’il s’agit de notre compréhension de la crise mondiale actuelle, chacun de nous semble s’insérer quelque part le long d’un continuum de prise de conscience qui peut être grossièrement divisé en cinq étapes :

1. Pas de problème. À ce stade, il ne semble y avoir aucun problème fondamental, seulement quelques lacunes dans l’organisation humaine, le comportement et la moralité. « Et si problème il y a, c’est qu’il n’y a pas assez de ce qu’il y a déjà : croissance, emplois, salaires, développement, etc. »[5]

2. Conscience d’un problème fondamental. Que ce soit le changement climatique, la surpopulation, le pic pétrolier, la pollution chimique, la surpêche océanique, la perte de biodiversité, le corporatisme, l’instabilité économique ou l’injustice sociopolitique, un problème semble retenir l’attention complètement. Les gens à ce stade ont tendance à devenir d’ardents militants pour leur cause choisie. Ils ont tendance à être très volubile quant à leur problème personnel, et aveugle à tous les autres.

3. Conscience de nombreux problèmes. Alors que les gens absorbent des évidences de différents domaines, la conscience de la complexité commence à croître. « Il y a une prise de conscience de plusieurs problèmes majeurs. À ce stade, les personnes passent leur temps à hiérarchiser les luttes, et à convaincre les autres de certaines priorités. » [5]

4. Conscience des interconnexions entre les nombreux problèmes. La réalisation qu’une solution dans un domaine peut aggraver un problème dans une autre marque le début de la pensée systémique à grande échelle. « Tout devient abominablement systémique, c’est-à-dire insoluble par quelques individus ou « solutions » miraculeuses, et inaccessible à la politique telle qu’elle est connue actuellement. »[5]Les gens qui arrivent à ce stade ont tendance à se retirer dans des cercles restreints de personnes aux vues similaires pour échanger des idées et approfondir leur compréhension de ce qui se passe. Ces cercles sont nécessairement petits, à la fois parce que le dialogue personnel est essentiel à cette profondeur d’exploration, et parce qu’il n’y a tout simplement pas beaucoup de gens qui sont arrivés à ce niveau de compréhension.

5. Conscience que la situation difficile englobe tous les aspects de la vie. Ceci inclut tout ce que nous faisons, comment nous le faisons, nos relations à autrui, ainsi que notre traitement du reste de la biosphère et de la planète physique. Avec cette réalisation, les vannes s’ouvrent, et aucun problème n’est exempté de l’examen ou de l’acceptation. « Il ne s’agit plus alors de « problèmes » qui appellent des « solutions » mais de prédicament (une situation inextricable qui ne sera jamais résolue, comme peut l’être la mort ou une maladie incurable), qui invite plutôt à emprunter des chemins de traverse pour apprendre à vivre avec, du mieux possible. »[5]Lorsqu’aucun effort d’intelligence humaine ne semble en mesure de résoudre notre situation, la possibilité d’un espoir peut disparaître comme la lumière d’une flamme de bougie, pour être remplacée par l’obscurité étouffante du désespoir. La manière dont les gens composent avec ça est, bien sûr, profondément personnel, mais il me semble qu’il y a deux routes habituelles sur lesquelles les gens s’engagent pour se réconcilier avec la situation. Elles ne sont pas mutuellement exclusives, et la plupart d’entre nous ferons usage d’un certain mélange des deux. Je les identifie ici comme des tendances générales parce que les gens semblent être attirés davantage par l’une ou l’autre. Je les appelle le chemin extérieur et le chemin intérieur.
– Si l’on est enclin à choisir le chemin extérieur, les préoccupations concernant l’adaptation et la résilience locale passent au premier plan, comme en témoigne le Transition Network[6] (Réseau de transition) et le mouvement de la permaculture[7]. [NDLR : J’ajouterai aux actions de « construction » les actions de « déconstruction » qui visent à stopper la machine industrielle et dans lesquelles de plus en plus de personnes s’investissent. En témoignent les récentes actions de désobéissance civile dans de nombreux pays qui visaient des infrastructures énergétiques[8] ou le mouvement Extinction Rebellion[9] qui a vu le jour cet automne en Angleterre. J’y reviendrai par la suite.]– Si l’on est peu enclin à choisir la voie extérieure, soit à cause de son tempérament ou des circonstances, le chemin intérieur offre son propre ensemble d’attraits. Choisir le chemin intérieur implique […] une certaine forme de perception transcendante. Pour quelqu’un sur ce chemin, ceci est considéré comme une tentative de manifester le message de Gandhi : «Devenez le changement que vous voulez voir dans le monde» au niveau personnel le plus profond. Ou dans un langage clair : pour guérir le monde, commencez d’abord par vous guérir. »[4]

Cette « échelle de conscience », bien que présentant une version simplifiée de la réalité, peut être une piste pour comprendre où les différentes personnes avec qui nous échangeons se situent. Ainsi elle peut nous permettre de s’accompagner au mieux dans nos chemins respectifs en mettant en lumière les « étapes » que chacun traverse.


Prendre acte de l’effondrement (avec la possibilité de l’extinction pure et simple de l’humanité et d’une très grande partie du vivant sur Terre) est une étape difficile, qui demande à voir une réalité que nombre de personnes préfèrent fuir. Cette étape demande du courage. Et de fil en aiguille, elle mène ceux qui la traversent à requestionner la totalité de notre rapport au monde. Si tout s’effondre, qu’est-ce que je fais ? Comment avoir un impact sur la trajectoire de la société ? Quel est le sens de mon action ?

Voici pour ma part les trois pistes d’actions que j’explore :

  • La conscience : prendre acte de l’urgence
  • La résilience : construire un avenir soutenable et souhaitable
  • La résistance : stopper les destructions en cours

Dans la suite de cette série d’article nous explorerons donc ces différentes pistes d’actions.

– Fin de la première partie –

Deuxième partie : Arrêtez tout, c’est l’heure de s’engager (en cours d’écriture)

Pour creuser la question de l’effondrement

Sources

[1] « Un point de repère : en 1992, au Sommet de Rio, plus de 1700 scientifiques signaient un texte commun mettant en garde l’humanité sur l’état de la planète. À l’époque c’était un événement nouveau, et même gênant, cars 2500 autres scientifiques leur ont répondu en mettant en garde la société contre l’ « émergence d’une idéologie irrationnelle qui s’oppose au progrès scientifique et industriel ». Vingt-cinq ans plus tard, 15 364 scientifiques de 184 pays consignent un article expliquant que sans mesurera rapides et radicales, l’humanité est menacée d’extinction. La lettre est restée sans réponse. Il n’y a plus de débat. Mais quelle est la nature du silence qui a suivi ? Sidération, lassitude, désintérêt ? » p. 18 Une autre fin du monde est possible – P Servigne, R Stevens, G Chapelle
[2] En Angleterre, le mouvement Extinction Rebellion lance l’insurrection pour le climat – Corinne Morel Darleux dans Reporterre le 17/11/18
[3] ibid p. 95
[4] Gravir l’échelle de la conscience – Paul Chefurka
[5] p. 29 Une autre fin du monde est possible – P Servigne, R Stevens, G Chapel
[6] https://transitionnetwork.org/
[7] http://www.permaculture.fr/
[8] https://www.ende-gelaende.org/fr/
[9] https://rebellion.earth/


Article publié sous les termes de la licence CC-BY-SA-NC 3.0

3 pensées sur “(1/3) Effondrement, l’urgence de prendre le temps. Réflexions et pistes d’actions.

  1. DONCE Corinne Répondre

    Bravo Roman et Anton ,
    Je vous découvre avec ce beau projet de rencontrer les personnes au cours d’un voyage avec votre camping car aménagé écolo ou écoresponsable .
    Je suis médecin homéopathe de formation . . . Et , je souffre comme beaucoup de nos concitoyens de cette société qui devient de plus en plus injuste et folle . Folle parce que dirigée par le monde du profit des financiers , des multinationales , Monsanto Bayer et toute la clique . . . Escrocs à la tête de la commission Européenne . . . Corruption en bandes organisées des cols blancs à la tête de tous les états … Reste Pierre Rabbi , les colibris , les chercheurs et jardiniers en permaculture . . . Donnez moi des noms svp pour me donner encore un peu plus le moral . Je suis mère d’un grand fils de 27 ans qui aime aussi le voyage et se pose plein de questions lui aussi . A 60 ans , je voudrais encore témoigner que le bonheur existe ! Et , partager des expériences de bonne et douce vie ……Au plaisir de pouvoir échanger avec vous sur les possibilités d’acquérir un camping car ecologique

  2. Corinne Donce - Fagot Répondre

    J’espère que vous avez bien reçu mon commentaire . Au plaisir d’échanger avec Vous . Bien cordialement . Corinne .

Répondre à Corinne Donce - Fagot Annuler la réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.